A Propos

« INTIFADA »

Nous sommes en 1989, avec la crise du golfe, les pierres de Jérusalem retrouvent leurs teintes ensanglantées. Tout près, les camps de Palestine pleurent encore la mort de leurs enfants. Le peuple de Dieu a voulu récupérer sa terre ; mais Dieu semble avoir voulu s’attribuer plus de place qu’il n’en fallait. Al Dehesha est l’un de ces camps de réfugiés Palestiniens, perché sue les collines de Bethleem, qui garde dans ses petites rues poussiéreuses la réminiscence d’une vieille indignation. Yasmina est morte il y a un an. Elle en avait quatorze. Une balle Israélienne lui a percuté la tête alors qu’elle manifestait dans l’immense dédale qu’est Al Dehesha. Dans ces camps qui ceinturent l’Est de Jérusalem, ce sont les enfants qui ramassent les pierres, ce sont eux qui projettent leur indignation à la face du monde. La lutte du peuple Palestinien n’a pas une ride ; elle prend naissance dans le ventre des femmes et s’épanouit derrière les grillages et les couvre-feux. Les propos du père de Yasmina sont effrayants, mais c’est avec sincérité qu’il pense que « si un enfant naît en Palestine, c’est avec une pierre à la main ». Lorsque l’on passe dans la rue qui longe l’entrée du camp, on est assailli par des pressentiments incommodants. Le silence et la quiétude presque tragique contribuent à créer une tension désagréable et imposante. On s’imagine alors que tout est gris derrière. Et tout est gris derrière… il n’y a pas d’arbre mais des pierres, des ruelles qui se croisent, des petites habitations qui se serrent « les coudes », et des pierres. Le désir d’indépendance des habitants est flagrant, et bien qu’une faible partie de leurs besoins alimentaires soit assurée par l’ONU, ils tentent de conserver sur leur visage la fierté d’un peuple autonome. Les pères de famille travaillent à l’extérieur du camp, ils sortent le matin pour des travaux souvent ingrats pendant que leurs enfants les attendent en occupant les rares places des deux uniques écoles élémentaires du camp.

Mais Israël a imposé ses règles. Les réfugiés doivent être munis d’une carte d’identité spéciale qui mentionne leur appartenance au camp. En cas de perte ou d’oubli de ces laissez-passer, le gouvernement distribue largement des peines d’emprisonnement.
De retour au camp, il est fréquent d’être condamné à trois mois d’emprisonnement pour un simple retard. En effet, à dix sept heures, les soldats se rassemblent à la porte d’entrée du camp et ferment les grilles. Le couvre feu est déclenché et, surveillé de l’extérieur le camp s’isole pour la nuit. Autour, des patrouilles et des miradors, parfois des cris déchirent le calme. Des adolescents descendent les sentiers en courant, suivis de près par la marche rapide de lourdes bottes de cuir, puis la tranquillité se réinstalle.
Derrière une certaine image stoïque, les familles ont peur à chaque instant. C’est une peur installée, un frisson habituel. C’est la crainte qui torture les mères de voir leurs enfants arrêtés et molestés. Tout jeune les enfants expriment déjà leur désarroi et leur étouffement en se baissant pour ramasser des pierres. Il est dramatique de voir que la propre inconscience des adolescents provoque des égarements et d’irréversibles difficultés avec les autorités Israéliennes.
A Al Dehesha, tous les enfants morts sont des martyrs. Les habitants du camp refusent de garder le silence. Ils ont longtemps multiplié les démarches pour dénoncer l’assassinat de Yasmina. Les lettres et les articles de journaux n’ont rien donné et, de la part du gouvernement, il y a comme un déséquilibre, trop peu de vase remuée dans la mare politique.

Avec le conflit Moyen-oriental, l’enjeu humanitaire est tel que si chacun de nous doit choisir une partie, il ne peut faire fausse route. Il est impossible d’accorder son tribut aux actions terroristes de certains groupes musulmans. Parallèlement, il est difficile de l’accorder à l’Intifada, qui est depuis 1986 le parti de la lutte Palestinienne, et qui oriente aussi, parfois, sa révolte vers des alternatives violentes. Il faut pourtant distinguer la position adulte de fermeté et l’attitude spontanée des enfants. Ils vivent avec la crainte permanente du soldat, et pour eux, lancer une pierre n’est pas offensif. C’est plutôt une réaction qu’une provocation, un geste désespéré face à l’agression des leurs. Le jet de pierre devient de l’auto-défense, leur indignation est un instinct de survie. Ainsi, les pères de famille largement impliqués dans le conflit sont partagés entre deux convictions. La première est une logique de résistance qui nécessite l’adhésion de chacun à tous les aspects de la lutte. C’est une exigence qui devient rapidement dangereuse. La seconde est plutôt l’état d’âme qui envahit chaque homme lorsqu’il jette un regard sur son enfant qui se bat. C’est un profond dégout de la guerre qui provoque le désir de préserver la vie plutôt que de reconquérir une frontière. C’est en fait la volonté d’assurer la sécurité des siens en oubliant un peu l’image violente des poings serrés. Ce choix, nombreux sont ceux qui l’ont réalisé. Notamment le père de Yasmina qui, fuyant les atrocités a choisi cette seconde voie. Il ne s’autorise qu’un seul paradoxe, sa seule provocation est d’exhiber le visage meurtri de sa fille sur papier glacé…Il diffuse cette photo comme on arbore une profonde blessure, avec la ferme volonté de sensibiliser. C’est la propre guerre de ces chefs de famille, loin des pierres et des fusils, le désir d’informer en apposant dans nos mémoires l’empreinte de ce qu’il faut absolument éviter.

Ainsi, au delà de l’horreur, il y a dans les familles Arabes des territoires occupés une indignation qui se réalise dans une volonté de « non-violence ». Il y a cet appel désespéré à la justice, à l’évaluation correcte du bien et mal. Dans nos raisonnements politiques et nos grandes analyses occidentales, on oublie trop souvent que dans certains endroits de Palestine, dans certains camps, existent des familles dont le seul extrémisme est le désir de vivre.

Fred Lecourbe